La seule unilingue francophone du cabinet Trudeau — qui compte 15 unilingues anglophones sur un total de 30 ministres — s’est retrouvée au coeur d’une tempête linguistique qui a fait des vagues jusqu’au parlement, mardi.

La semaine dernière, le bureau de Diane Lebouthillier a décliné une entrevue avec la radio du service anglophone de Radio-Canada, la ministre étant trop peu à l’aise de s’exprimer dans la langue de Shakespeare.

Cette situation a laissé perplexes les auditeurs de l’émission «As it Happens», selon le réseau, qui a publié dans la foulée de ce refus un texte intitulé «Les ministres devraient-ils parler les deux langues officielles?».

Dans un passage de l’article, qui a été publié en ligne mercredi dernier, on demande à quand remonte la dernière fois qu’un ministre fédéral «ne parle pas la langue de la majorité des Canadiens».

Le dernier unilingue francophone à avoir servi dans un cabinet à Ottawa est Benoît Bouchard, qui avait été nommé en 1984 par le premier ministre Brian Mulroney.

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L’affaire a rebondi au parlement, mardi, alors que les députés revenaient au parlement après deux semaines d’absence.

À l’issue d’une réunion du cabinet, Mme Lebouthillier a affirmé que les ministres unilingues francophones étaient «peut-être» jugés plus sévèrement que leurs collègues qui maîtrisent uniquement la langue de Shakespeare.

La ministre originaire de la Gaspésie, qui poursuit son apprentissage de l’anglais, a par ailleurs plaidé qu’elle ne considérait pas son unilinguisme comme une tare.

«Pour moi, ce n’est pas un défaut de ne pas parler une autre langue. Ce qui serait dommageable, c’est de ne pas faire l’effort de le faire», a-t-elle fait valoir.

Au cabinet libéral, 15 des 30 ministres sont unilingues anglophones. Certains d’entre eux prennent actuellement des cours de français, dont le ministre de la Défense Harjit Sajjan, le ministre de l’Infrastructure, Amarjeet Sohi, et la ministre des Services publics, Judy Foote.

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, n’a pas directement commenté le cas de Mme Lebouthillier ou du média — dont elle est la ministre responsable — qui l’a soulevé.

«Que nos ministres soient anglophones ou francophones, le plus important, c’est que je vois vraiment une réelle volonté (d’apprendre) la deuxième langue officielle», a-t-elle offert en mêlée de presse dans le foyer de la Chambre des communes.

Pour le chef du Bloc québécois, Rhéal Fortin, le réseau anglais de Radio-Canada s’est fait le porte-voix de «certains individus que l’unilinguisme achale».

«Quand CBC déplore que la ministre parle français, moi, ce que j’entends, c’est qu’il y a une bonne partie de l’électorat canadien qui le déplore», a-t-il suggéré en point de presse.

«Et ça m’attriste, parce que c’est un comportement qui m’apparaît injuste quand je le compare aux ministres unilingues anglophones, qui eux, semblent avoir l’oreille de tout le monde», a enchaîné M. Fortin.

Parler les deux langues officielles est «plus utile», mais pas essentiel, pour un ministre à Ottawa, a pour sa part tranché l’ex-premier ministre Jean Chrétien.

L’ancien chef libéral était de passage au parlement, où il avait été invité à assister à la cérémonie d’assermentation du nouveau représentant du gouvernement au Sénat, Peter Harder.

Il a pimenté sa réponse en racontant une anecdote remontant à l’époque où il était ministre des Finances et qu’il avait prononcé une allocution au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, à Washington.

«J’avais fait tout mon discours en français, et ça avait été… surprenant à Toronto!», s’est-il souvenu, parlant sans doute de la réaction des autorités du Parti libéral dans la métropole.

«J’avais eu un peu de merde pour ça», a lâché M. Chrétien en riant. (Mélanie Marquis, La Presse Canadienne).