Le président du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie O’Neil Cloutier et son aide-pêcheur Michel Cyr.
Crédit photo : Photo Ariane Aubert Bonn
(En collaboration avec Ariane Aubert Bonn) – Ce qui devait arriver, arriva. Épargnés jusqu’ici, les homardiers de Gascons jusqu’à Percé ont appris qu’ils devraient retirer leurs engins de pêche d’ici vendredi à 16 h, en raison de baleines noires aperçues non loin des côtes et des mesures temporaires qui en découlent pour assurer leur protection.
Les zones côtières (en rouge sur l’image plus bas) seront donc fermées au minimum deux semaines et plus longtemps si d’autres baleines noires sont observées. Comme les homardiers démarrent pour la plupart leur 7e semaine de pêche – sur une saison qui en dure une dizaine – le glas a à toute fin pratique sonné pour plusieurs d’entre eux.
Demandes refusées
Selon les chiffres officiels, une douzaine de baleines noires ont été retrouvées mortes l’an dernier dans le golfe du Saint-Laurent (sur une population mondiale de 450 individus), dont deux par empêtrement dans du matériel de pêche et quatre autres des suites d’une collision avec un navire.
En début de saison, le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie et son directeur O’Neil Cloutier croyaient bien que les fermetures dynamiques des zones de pêche ne s’appliqueraient pas à eux, puisque les homardiers ne travaillent pas au large, souvent à seulement 5 ou 10 minutes des côtes. Hors voilà, personne n’est épargné, que ce soit les pêcheurs de crabe, de flétan, de maquereau ou de homard.
Une situation inconcevable pour O’Neil Cloutier, lui-même homardier. Le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie avait d’ailleurs demandé au gouvernement fédéral une exemption pour les pêcheurs en eaux peu profondes puisque toutes les captures de homards se font dans 48 pieds de profondeur ou moins, ce qui leur avait été refusé. « On leur demandait de revoir la limite nord de la zone d’alimentation de la baleine, à une profondeur de dix brasses. On ne croit pas que les baleines viennent se fracasser les mâchoires sur les falaises pour s’alimenter. Mais ça a été refusé automatiquement! », s’exclame O’Neil Cloutier.
Pêches et Océans Canada a déjà a indiqué que les mesures temporaires actuellement prévues demeureront en place et que ces dernières, combinées aux limitations de vitesse imposées par Transports Canada, sont cruciales pour empêcher que les baleines subissent des préjudices supplémentaires.
L’ire des homardiers
Devant la fermeture de leur zone d’approvisionnement, les pêcheurs du Rocher-Percé, tout comme les industriels, se trouvent à court de ressources. La mine était basse sur les quais ce mardi. Entre les jurons de certains pêcheurs à l’endroit du Parti libéral du Canada et les visages résignés des autres, le capitaine Jean-Marc Arbour affirme prévoir perdre environ 20 000$ avec la fin de ses activités. De plus, celui-ci s’inquiète pour ses employés. « Ils ont juste travaillé six semaines… Dans ces conditions-là, ce ne sera pas facile de recruter pour l’an prochain ». Selon lui, les pêcheurs auraient dû être consultés avant d’appliquer de telles mesures. Jean-Marc Arbour affirme que la pêche côtière se fait à des profondeurs minimes où les grandes baleines ne peuvent pas circuler. Celui-ci ajoute qu’une reprise de la pêche après le départ des baleines de la région nuirait à la ressource. « On tombe dans la période où les femelles ont des œufs. Chaque fois que tu en remets une à l’eau, elle perd des œufs. Tu prêches contre ton pain futur. »
Tenter d’éviter le pire
Ce n’est pas sans efforts que le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie a tenté d’inverser la vapeur avant l’application de la fermeture de la zone. Après l’exemption demandée pour les pêcheurs en eaux peu profondes, une deuxième approche auprès du ministère des Pêches et Océans a été lancée au cours de la fin de semaine. « On a pris des vidéos en drone pour démontrer au ministère que c’était impossible que des baleines se rendent là où on pêche, puisque 80% de nos casiers sont dans moins de 18 pieds d’eau […] Finalement, on s’est fait dire non. Le ministre maintient sa position ferme du protocole signé avec les Américains », précise O’Neil Cloutier.
Les transformateurs inquiets
L’ambiance est tout aussi morose chez les transformateurs de crustacés qui doivent faire face à une baisse majeure d’approvisionnement. Chez E. Gagnon et Fils, le vice-président Bill Sheehan affirme qu’il va manquer un million de livres de crabe et la même quantité de homard si la pêche n’est pas rouverte, et qu’il est difficile, voire impossible de trouver d’autres sources d’approvisionnement.
« C’est plus de la moitié de nos achats qui vont disparaître, argue-t-il, ajoutant que c’est l’ensemble des quarts de métiers de son entreprise qui seront touchés. Que ce soit les gars du débarquement, les camionneurs, ceux qui transforment le produit; on parle d’environ 500 employés ».
Selon les calculs de Bill Sheehan, les pertes régionales découlant de cette fermeture de la pêche pourraient s’élever à 20 millions de dollars. « Ça va jusqu’aux stations-services et aux restaurants, c’est tout qui s’enchaîne … »
Forte réaction des élus
La réaction des élus ne s’est également pas fait attendre et ces derniers sont rapidement montés au front pour exiger des gouvernements provincial et fédéral d’intervenir immédiatement pour aider financièrement l’industrie des pêches et les travailleurs touchés.
La MRC du Rocher-Percé et la préfète Nadia Minassian ont notamment pointé du doigt « la gestion de crise malhabile […] dans la mise en place de mesures draconiennes et intransigeantes » depuis janvier 2018 par le ministère des Pêches et des Océans pour la protection de la baleine noire.
« Les cinq maires de la MRC et moi-même exigeons des gouvernements du Québec et du Canada des mesures d’aide financière d’urgence pour l’industrie des pêches et nos travailleurs. Nous ne pouvons pas laisser tomber ces gens qui constituent l’une des bases fondamentales de notre moteur économique principal », lance la préfète Minassian.
Appel au calme d’Ottawa
Pour sa part, la ministre libérale Diane Lebouthillier a voulu se faire rassurante via communiqué en soutenant que son gouvernement était bien conscient des impacts économiques d’une telle décision et des répercussions engendrées. « Je vais continuer à protéger et soutenir les travailleurs saisonniers affectés afin de limiter les impacts des fermetures […] Au cours des dernières heures, j’ai eu plusieurs discussions avec mes collègues Dominic LeBlanc [ministre des Pêches] et Jean-Yves Duclos [ministre du Développement social du Canada]. Je sais que les circonstances ne sont pas optimales pour les pêcheurs du comté cette année, mais il est essentiel de continuer à travailler ensemble pour assurer la viabilité du secteur des pêches à long terme. »
Impossible pour l’instant de connaître la nature des discussions, si la possibilité d’une compensation financière est envisagée ou si de mesures exceptionnelles pour les travailleurs saisonniers pourraient être appliquées.
La ministre Lebouthillier n’était pas disponible aujourd’hui pour répondre aux questions des médias, mais une conférence téléphonique est prévue demain pour en savoir davantage. Un dossier qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.