Se sortir de l’enfer de la violence conjugale

Menacée de mort, battue et séquestrée, une victime de violence conjugale a été recueillie dans une maison d’hébergement en Gaspésie. Elle publiera sous peu un livre sur le sujet et partage son récit.

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VIE. Angelica (nom fictif) a vécu pendant près de 6 ans l’enfer de la violence conjugale. Aujourd’hui, alors qu’elle a réussi à s’en sortir et à refaire sa vie, elle s’apprête à raconter ce qu’elle a vécu.

Angelica a été pendant cinq ans et demi en couple avec celui qu’elle surnomme aujourd’hui Gargamel, de 10 ans son aîné. Elle le rencontre vers l’âge de 19 ou 20 ans, et tombe enceinte après deux mois. Le couple se fiance immédiatement. « Il était gentil, je m’en foutais qu’il ait 10 ans de plus que moi. Quand les enfants sont arrivés, c’était rendu qu’il buvait à tous les jours… Ça a commencé avant les enfants, mais je le voyais pas. Maintenant, avec du recul, je vois les détails, raconte-t-elle. Ça a commencé beaucoup mentalement, il me mettait à sa main. Il s’occupait de l’argent. Il a coupé mon réseau d’amis, je ne pouvais plus voir la famille de ma mère, qui habitait proche. Le seul téléphone était un cellulaire, qu’il rangeait dans un coffre le soir avec les clés d’auto », se souvient-elle.

Après quelque temps, le couple déménage dans le village d’enfance de Gargamel, où il est entouré de sa famille, connaît tout le monde. Sans accès à la voiture ou au téléphone, elle se trouve pour ainsi dire prisonnière de sa situation. « On est déménagés sur une petite île où y’avait absolument rien, c’était du bois et tout était à 45 minutes de la maison. J’ai pas pu me sauver avec les filles, parce que tout était très loin. Je ne pouvais jamais être toute seule, si lui avait quelque chose à faire, il fallait que sa mère reste avec moi », raconte-t-elle.

Les deux fillettes du couple servent régulièrement à Gargamel pour faire du chantage. « Souvent, il va dire je vais te tuer, j’vais tuer les enfants, j’vais me tuer après… Tu viens à y croire, à tout ça. T’as une peur, c’est ta vie. La fille va pas rester là parce qu’elle aime ça manger des coups, personne n’aime manger des coups », dit-elle.

S’en sortir

Pour parvenir à s’échapper, Angelica doit recourir à une mesure extrême : mettre le feu à la maison. « Cette journée-là, il y avait eu une chicane parce qu’il voulait du macaroni et j’avais fait du spaghetti. Il a commencé à me battre, puis je lui ai dit que j’étais écœurée et que j’allais partir. Il a dit qu’il allait chercher la hache et qu’il nous tuerait tous. Aussitôt qu’il est sorti, j’ai mis le feu dans la maison et je suis allée me cacher dans la voiture avec les filles », raconte-t-elle.

Une fois à l’hôpital, les enfants sont confiés à des membres de la famille de Gargamel. Lui est rencontré par les policiers pendant une heure seulement, et elle est éventuellement transférée dans un hôpital psychiatrique. Pendant son séjour de trois semaines, elle est rencontrée par dix psychiatres, cinq psychologues, et trois ou quatre travailleurs sociaux. On lui diagnose finalement un choc post-traumatique.

Angelica est ensuite transférée dans une maison d’hébergement, puis une autre, et enfin une troisième en Gaspésie. Durant ce temps, la violence se poursuit. « Il y a eu des attaques entre tout ça, parce que lui me recherchait. Les maisons d’hébergement m’ont beaucoup protégée », dit-elle.

Justice

Gargamel ne subit aucun procès pour ses actes, puisqu’Angelica n’aurait pas pu s’y présenter. « Ma vie était en danger. La police disait qu’elle ne pouvait pas me protéger 24 heures sur 24. Les intervenants, les psychiatres l’ont dit, il y avait danger d’un suicide familial, alors les enfants étaient en danger aussi », dit-elle.

C’est finalement Gargamel qui conserve la garde des enfants. « Comme les enfants n’avaient pas été battues, la garde a été à Monsieur, vu que moi j’étais dans une maison d’hébergement et que je ne pouvais pas aller au procès parce que je n’étais pas protégée », raconte Angelica.

La garde partagée n’est pas une option, puisque la victime est réticente à ce que son agresseur puisse obtenir ses coordonnées, alors qu’elle considère que sa vie, et celle de ses enfants, est toujours en danger. « Nous avons regardé ça de tous les côtés, et il y a un manque énorme dans la loi. C’est inhumain de laisser la victime souffrir autant. Y’a pas juste moi qui souffre, y’a deux enfants qui, du jour au lendemain, voient leur maman toute défaite à l’hôpital, puis boum, plus de maman. Qu’est-ce qui se passe, maman ne revient plus ? Ne nous aime plus ? Moi je ne peux pas appeler, il raccroche la ligne, me menace », raconte-t-elle.

Refaire sa vie

Avec un nouveau nom, pratiquement un nouveau visage en raison des chirurgies qui ont été nécessaires après ses blessures, des tatouages pour couvrir des cicatrices, Angelica a refait sa vie. « Je me suis remariée, j’ai deux beaux enfants, mon mari m’appuie beaucoup. Je suis suivie par une intervenante », dit-elle.

Elle doit cependant toujours composer avec des difficultés à dormir, des cauchemars, et l’anxiété de savoir ses deux filles loin d’elle, et avec lui.

Livre

Angelica a écrit un livre, Fleur malaimée, dans lequel elle raconte son histoire, appuyée par des documents de spécialistes, de docteurs, et des enregistrements de la famille de Gargamel, qui avouent avoir été au courant de sa situation.

Son but est de faire changer les choses. « Ça fait deux ans et demi que ça me trotte dans la tête. Je ne veux pas rester chez nous sans rien faire. Il faut que la loi change, et plus on va en parler, plus il y a de chances que ça change. J’aimerais que ça inspire les femmes victimes à faire quelque chose, parce que ça grossit tout le temps ces situations, dit-elle. J’espère aussi que mes filles puissent le lire un jour et sachent ce qui s’est vraiment passé. »

Ressources

Depuis la politique gouvernementale de 1999 et les investissements qui en ont découlé, le Québec est plus avancé que d’autres provinces dans le domaine de la violence conjugale, selon Nancy Gough, directrice de la Maison d’aide et d’hébergement L’Émergence, à Maria. Mais ce n’est peut-être toujours pas suffisant. « Au Québec, il y a plus d’une centaine de refuges, dont cinq en Gaspésie et aux Îles, et leurs taux d’occupation sont révélateurs d’une situation urgente. Ici, dans les cinq dernières années, nous avons eu des taux d’occupation record, qui dépassent le 100 %. Habituellement, ils étaient entre 95 % et plus de 100 % », illustre-t-elle.

Les victimes font face à plusieurs difficultés pour se sortir de leur situation. Elles doivent d’abord assurer leur sécurité, puisque dans de nombreux cas, la rupture fait augmenter les risques de violence, explique Mme Gough. Elles doivent ensuite réorganiser leur vie dans une situation où la violence perdure. Les victimes peuvent faire face à des difficultés financières, aux démarches pour la garde des enfants qui les force à rester en contact avec leur agresseur. « C’est une problématique extrêmement complexe, qui se conjugue avec la honte qu’occasionnent ces situations, l’estime de soi qui est détruite, la peur de na pas être crue, la peur des préjugés », indique Nancy Gough.

Au niveau judiciaire, c’est souvent après un épisode qui déborde que les policiers sont appelés, puis que des accusations de voies de fait peuvent être portées. « Les policiers procèdent à l’arrestation de la personne qui a créé de la violence pour mettre fin à la situation, et le procureur de la Couronne doit décider d’émettre une accusation pour que le processus judiciaire s’enclenche. Ce n’est pas la victime qui enclenche les procédures, mais elle doit agir comme témoin dans le processus, sinon il n’y a pas de preuve pour démontrer la culpabilité de l’accusé », explique Me Myriam Carbonneau Girouard, juriste au Centre de justice de proximité.